par le Dr Gregory L. Ferraro
Tout individu ayant été chargé de la garde et l’entretien de chevaux
de trait est familier avec la dermatite chronique qui sévit dans la zone
du paturon de leurs protégés. Traditionnellement repérée par des
égratignures, croûtes ou crevasses, cette pathologie est le fléau de
l’existence des cavaliers qui ont besoin de garder leurs chevaux en bon
état et aptes au travail.
Une affection cutanée localisée qui semble ne jamais s’en aller, malgré
des soins constants et l’application d’un large éventail de médicaments,
potions et autres thérapies.
Bien que cette pathologie soit largement connue dans toute
l’industrie du cheval, c’est chez le Shire et Clydesdale qu’elle se
manifeste dans ses formes les plus sévères et débilitantes.
La maladie débute souvent chez les jeunes chevaux, progresse tout au
long de la vie de l’animal et se termine souvent par l’apparition
de lésions persistantes et une incapacité à se déplacer. Cela apparaît
d’abord comme de petites zones, bien démarquées, avec de multiples
ulcérations dans le creux du paturon d’un seul ou de plusieurs membres.
Ces ulcérations sont couvertes par des croûtes et saignent fréquemment,
particulièrement lorsque le cheval est à l’exercice.
Initialement ces petites lésions répondent au traitement topique mais
souvent on observe des récidives, qui sont chaque fois plus sévères et
plus importantes. Ces lésions multiples se rejoignent souvent, formant
de larges zones d’ulcération. Il se peut même qu’elles soient
chroniquement infectées, produisant alors une quantité importante
d’exsudat et engendrant un épaississement important de la peau.
Avec le temps, ces lésions s’étendent, allant jusqu’à atteindre la
peau jusqu’au genou ou au jarret. Les chevaux sévèrement touchés
présentent souvent un gonflement généralisé des quatre membres. Chez les
chevaux plus âgés, affectés chroniquement, cet élargissement des
extrémités distales des membres devient permanent et est accompagné par
un épaississement de la peau, et l’apparition de larges nodules durs et
bien délimités. Ces nodules peuvent devenir très gros (de la taille
d’une balle de golf voire plus) et entraîner un problème mécanique car
ils interfèrent avec le mouvement.
(en image:La jambe rasée d’un cheval de trait
atteint de dermatite du paturon présentant une irritation chronique et
épaississement de la peau de la jambe.)
Cavaliers et vétérinaires ont débattu sur l’origine et les
traitements possibles de cette maladie durant des décennies. Tout, de la
gale aux bactéries, en passant par les champignons, les produits
chimiques ou les plantes irritantes, a été impliqué comme cause
possible. On a même envisagé l’implication des fanons, car ils
conservent l’humidité et par conséquent constituent un milieu idéal,
chaud et humide, pour permettre la croissance bactérienne et fongique.
Ces dernières années, certains vétérinaires ont estimé que la maladie
était en quelque sorte liée à un problème de photosensibilité parce que
les lésions étaient plus évidentes sur les membres blancs. En fait,
elles sont également répandues sur les membres noirs, juste plus
difficiles à voir, en particulier chez les chevaux aux fanons bien
développés.
Dans la fin des années 1980, un certain Dr Tony Stannard de l’UC
Davis School of Veterinary Medicine procéda à quelques analyses
préliminaires microscopiques des zones atteintes de la peau et classa ce
qu’il découvrit comme « Vascularite Leucocytoclasique du Paturon. »
Ce nom assez long et compliqué visait à indiquer que la maladie était
causée par des changements dégénératifs dans les vaisseaux sanguins
microscopiques de la peau affectée. Ses travaux ont alors fourni une
première indication: les traditionnelles et communes « crevasses » des
chevaux de trait pouvaient être, en fait, une réelle entité
pathologique. Malheureusement, ses recherches dans ce domaine ont été
écourtées par sa mort prématurée.
Récemment, en raison de l’intérêt, la coopération et l’aide
financière provenant de la Ferme d’Ayrshire à Upperville, en Virginie,
les scientifiques du Centre pour la santé Equine de l’UC Davis ont
repris ces travaux. L’équipe de recherche, dirigée par le Dr Verena
Affolter, a catalogué et a suivi la progression des lésions, a effectué
des biopsies, a analysé les tissus récoltés au microscope et les a
soumis à divers antigènes équins. Les chercheurs ont confirmé ce que le
Dr Stannard suspectait; que la dégénérescence du système vasculaire a
une composante auto-immune qui est au cœur de la production de la
maladie.
Bien que le travail ne soit pas terminé et n’ait pas débouché sur une
conclusion quant à la cause et l’effet de la maladie, la recherche à ce
jour indique que la plupart des dommages causés à la peau et aux tissus
sous-cutanés de la jambe et du paturon peuvent être le résultat de la
propre réponse du système immunitaire du cheval à un agent irritant.
En d’autres termes, le premier « agent » qui attaque la peau n’est
pas important. Un type de bactéries, de champignons ou de gale touche la
peau du cheval qui déclenche alors une réponse hyperactive ou mal
orientée par les propres mécanismes de défense du cheval. Le propre
système immunitaire de l’animal devient alors la cause du problème.
Cette «hyper» réaction de l’organisme persiste longtemps après que
l’irritant d’origine (acariens, bactéries, etc.) ait disparu, ce qui
explique en partie pourquoi la liste des échecs thérapeutiques est si
longue. Quelque soit le traitement particulier employé, il peut éliminer
l’agent pathogène présent en particulier, mais une fois que celui-ci
est éliminé, un autre qui n’est pas sensible aux médicaments choisis
prend le relais parce que la peau du cheval est trop occupée à
lutter avec elle-même pour se défendre contre les potentiels nouveaux
envahisseurs.
Ainsi, la dermatite du paturon qui a toujours tourmenté les amateurs
du cheval de trait n’est pas, en fait, une simple infection par un agent
microbien unique et facile à éradiquer, mais plutôt la manifestation
d’une maladie auto-immune extrêmement complexe. Ces types de mystères
médicaux sont difficiles à démêler, en effet, les chercheurs de UC Davis
ne s’attendent pas à la découverte d’une solution définitive avant des
années…
Bien que les recherches soient toujours en cours et loin d’être
complètes, les informations factuelles développées jusqu’à présent
prêtent à des recommandations pratiques concernant les soins des chevaux
affectés par cette pathologie. La propreté est extrêmement importante
pour le contrôle à long terme et la gestion de ces lésions. Les poils
au-dessus des zones abîmées doivent être lavés et séchés avec soin de
façon journalière. Cela supprime la saleté, les débris et le pus
qui favorisent le développement des microbes. Bien que la coupe ou le
rasage des fanons puissent faciliter le traitement des animaux gravement
atteints, ils ne sont pas un traitement en soi; ces solutions ne sont
également pas nécessaires pour contrôler positivement la maladie.
Les préparations topiques antimicrobiennes ou antifongiques ne sont
que très légèrement utiles, car: (1), tandis qu’elles peuvent tuer
l’agent pathogène présent à l’heure actuelle notamment dans les lésions,
cet organisme sera, très certainement, remplacé par un autre qui n’est
pas sensible au produit utilisé et , (2) aucun produit actuel ne peut
influer sur la maladie auto-immune sous-jacente. De même, il n’y a aucun
sens à utiliser des agents topiques hautement toxiques ou
irritants tels que l’acétate de plomb ou des préparations de type
goudron, car, alors qu’ils peuvent tuer tout ce qui bouge (y compris le
groom!), ils ne font rien pour contrer la maladie de base et peuvent, au
contraire, contribuer à un affaiblissement supplémentaire de la peau.
Un traitement topique qui s’est montré, au fil du temps, être utile
dans le contrôle et la gestion des lésions de la peau est l’application
quotidienne des préparations à base de soufre. Celles-ci se présentent
sous deux formes. Le premier est le souffre en poudre couramment utilisé
pour le contrôle des maladies de plantes. Cette poudre se trouve
facilement dans les pépinières et autres magasins de produits de
jardinage. La poudre peut être mélangée avec de l’huile minérale
pour former un « milk-shake » épais comme solution qui peut ensuite être
massée profondément dans les zones affectées de la peau après que les
jambes et les poils aient été soigneusement lavés et séchés. La clé ici
est que la préparation doit être soigneusement travaillée vers le bas
dans les zones affectées de la peau. Il ne suffit de le verser sur les
fanons ou de tamponner les lésions avec la préparation, cela ne serait
qu’un échec. L’inconvénient évident de ce traitement est qu’il nécessite
beaucoup de temps.
La deuxième méthode pour utiliser le soufre comme traitement est
l’utilisation de solutions à base de bouillie soufrée (ou chaux
soufrée). Elles sont généralement recommandées pour la dermatite chez
les chats et les chiens et sont disponibles dans la plupart des magasins
de fournitures vétérinaires. Ce traitement n’est efficace que si on
prend soin de faire tremper les membres touchés assez longtemps dans la
solution afin que le soufre entre en contact direct avec la peau pendant
un laps de temps suffisant.
En outre, les acariens et autres parasites doivent être
définitivement contrôlés, car ils peuvent être à la fois une cause et un
stimulant de la maladie. Parallèlement au traitement du cheval, les
écuries, bâtiments et installations, doivent aussi être nettoyés et
pulvérisés périodiquement avec un spray aérosol pour éliminer
les parasites. Les corticostéroïdes systémiques ne sont efficaces que
lorsqu’ils sont utilisés à des doses relativement élevées. Par
conséquent, ils ne peuvent être utilisés qu’ à court terme chez les
animaux touchés pour aider à établir une base plus stable pour la
thérapie à long terme. Les préparations de stéroïdes topiques sont, en
gros, inefficace. Les antibiotiques systémiques ne sont utiles que si la
pathologie est temporairement compliquée par une infection bactérienne
secondaire. Les antibiotiques topiques et antifongiques, tel que
mentionnés plus haut, ne sont que très légèrement utiles et doivent être
changés au moins tous les trois jours pour avoir un effet sur le
contrôle des populations microbiennes.
En résumé, soulignons-le de nouveau, les lésions de la peau que nous
voyons sur les paturons de Shires, Clydesdale et peut-être d’autres
races de chevaux de travail ne sont pas des infections isolées ou de
simples abrasions de la peau, mais le résultat d’une maladie auto-immune
systémique très compliquée et, encore, mal définie.
Bien que les scientifiques vétérinaires travaillent dur afin de mieux
comprendre cette maladie, la guérison est encore loin. Le contrôle est
possible grâce à la mise en œuvre d’un programme quotidien et appliqué
de propreté et de décontamination.
Il doit être bien entendu que celui qui contemple dans le plaisir le
résultat du travail obtenu par l’utilisation et la qualité des chevaux
lourds, doit aussi être prêt à assumer la responsabilité parfois lourde
qu’est le bon entretien et le maintient en bonne santé des ces nobles
destriers.
Traduction : Aurore Moigneau sur le site de France Clydesdale
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